L'histoire
Le verrier SGD à la recherche de son quatrième souffle 29.10.09
Mers-les-Bains, ses plages et son usine de fabrication de flacons. Impossible de manquer l’imposant site verrier de la rue principale de la station balnéaire de la Somme, accolée au Tréport. Une spécialité locale puisque la vallée de la Bresle abrite toujours des dizaines de fabricants de verre et réalise 80% de la production mondiale de flaconnage haut de gamme.Depuis plusieurs décennies, Desjonquères s’est spécialisé dans le haut de gamme et ses deux principaux débouchés : la parfumerie et la pharmacie. Des marchés porteurs que l’entreprise familiale devenue filiale de Saint-Gobain en 1972 va aussi développer à l’international où elle a déployé au fil des ans un dispositif industriel d’une dizaine de sites. À Mers-les-Bains et dans les deux autres unités de la région, où sont employés à l’époque plus de 1500 des 4500 salariés du groupe, la filiale de Saint-Gobain se concentre sur son coeur de métier, les flacons de parfums et leur décoration. À l’étranger, elle accompagne la croissance des parfumeurs brésiliens comme le géant Natura, sur le mass-market. En Russie, elle fabrique des bouteilles de vodka haut de gamme comme des flacons. En Chine, elle compte déjà plusieurs laboratoires pharmaceutiques comme clients.Courtisés par plusieurs fonds qui ont bien identifié Desjonquères comme une activité isolée dans la sphère Saint-Gobain, recentrée sur le bâtiment, les dirigeants du groupe de Jean-Louis Beffa se font tirer l’oreille. Ils sont restés marqués par l’insolente réussite de la dernière filiale cédée en 2003 et devenue Terreal. Son premier LBO (Carlyle-Eurazeo) s’est débouclé dans un temps record de deux ans, permettant au passage à son dirigeant d’empocher l’équivalent des bonus de toute une carrière.
Les fonds prônent la restructuration.
En mars 2007, Saint-Gobain cède finalement aux avances du consortium formé par les fonds Sagard et Cognetas. La société est valorisée à 670 millions d’euros, sur la base de 7,6 fois l’Ebitda 2006. Le levier représente un endettement de 590 millions d’euros. L'accord porte sur la cession de 100 % du capital. Les fonds prennent chacun 40% du capital et Saint-Gobain réinvestit à hauteur de 20 %. Pour marquer l’entrée dans une nouvelle ère, mais rester dans la continuité, Saint-Gobain Desjonquères devient SGD. Elle garde son Pdg, François Dujardin et recrute un directeur financier Thierry Dillard.« C'est le projet industriel à mener qui nous intéresse », assure alors Edouard Koopman, associé chez Cognetas. La stratégie présentée par les nouveaux propriétaires est simple. La réorganisation des onze sites du verrier constitue le principal axe de création de valeur déterminé par les fonds pour doper leur investissement. Il n’exclut pas la montée en capacité. Un mois avant le bouclage du LBO, un nouveau four est mis en activité sur le site historique de SGD. « La parfumerie connaît une forte croissance. L'industrie du flaconnage, dans sa globalité, est en souscapacité.Le coût des équipements constitue une vraie barrière pour des entrants potentiels », souligne Edouard Koopman.
Le business plan des nouveaux actionnaires est ambitieux. Ils prévoient que le verrier bénéficie d'une nouvelle impulsion et visent 720 à 730 millions d'euros de chiffre d'affaires dès 2011, contre 607 millions en 2006. Au coeur de cette expansion, la croissance du marché et des investissements dans le haut de gamme et le « mass-market » pour la parfumerie. Pour maintenir son rang sur le marché du luxe, 25 millions d'euros seront investis à Mers-les-Bains. Dans les produits courants, une usine de bouteilles de vodka en Russie va se diversifier dans le flaconnage. Une autre unité de fabrication de bouteilles de bière en Chine, sera partiellement reconvertie. Dans la pharmacie, le groupe envisage de s'implanter notamment en Inde. Il compte alors plus de 6 000 personnes et s'appuie sur un réseau commercial et une base industrielle d'envergure mondiale, avec des sites en France, en Allemagne, en Espagne, aux États-Unis, au Brésil, en Chine et en Russie.
Les premières mesures de réorganisation annoncées à la reprise ne tardent pas à prendre effet. En 2007, les 1 350 salariés en CDI et quelque 110 intérimaires de l’usine Saint-Gobain Desjonquères (SGD) sont informés d’un plan de suppression de 461 postes d’ici 2011. Plusieurs sites sont touchés comme l’unité spécialisée dans le décor et le dépolissage du verre d’Ecouché dans l’Orne, 320 salariés, ou celle d’Abbeville dédiée au laquage, et qui emploie 330 personnes. Au sommet du groupe, des tensions apparaissent. Thierry Dillard, le directeur financier, quitte la société pour divergences avec la stratégie.
La crise rattrape SGD
Il fera finalement son retour, cette fois comme Pdg du groupe, il y a six mois. Mauvaise analyse du marché ? Choix stratégiques erronés. SGD encaisse surtout un recul de son activité historique lors de la première année de crise. Son carnet de commandes parfumerie fond de 40% en quelques mois dans l’Hexagone, baisse à laquelle s’ajoute une perte de parts de marché. Sur la parfumerie, le phénomène de déstockage prend des proportions catastrophiques pour le fabricant d’emballage qui réalise plus de 60% de son chiffre d’affaires sur cette division. « Tout le monde s’est mis à déstocker : distributeurs et fabricants, explique Thierry Dillard, et tant que le tuyau n’est pas vide, cela ne redémarrera pas ». Le réassort chute et les lancements sont gelés. Les trois fours de Mers qui peuvent alimenter jusqu’à une quinzaine de lignes, sont en surcapacité. Et pas question d’arrêter un outil qui fonctionne 24h sur 24, 365 jours par an. Le retour de Thierry Dillard ne vise pas à accompagner le redimensionnement de l’outil. Le projet de l’ancien directeur
Améliorer la qualité
C’est ce discours qu’il défend depuis quelques semaines au fil des réunions avec le pool d’une quarantaine d’établissements bancaires encore assis autour de la table des négociations. Objectif pour le manager de l’entreprise dont la dette est évaluée à plus de 600 millions d’euros : obtenir un financement de plus de 140 millions d’euros sur sept ans pour renouveler son outil industriel, investir dans la qualité. Et permettre de financer un plan de 290 millions d’euros sur cinq ans, dont plus de la moitié en France pour réorganiser le groupe. « Le taux de rebut sur nos lignes atteint jusqu’à 40%. Certes, les standards de notre industrie sont particulièrement élevés, juste en dessous de 30% de rejet. Les technologies verrières sont complexes à maîtriser. Mais il faut absolument améliorer la qualité de nos produits en sortie de ligne ». L’usine de Mers doit pour cela se réorganiser et s’équiper en systèmes de contrôle qualité. Pour l’heure, une partie du tri produit est encore effectuée par des sociétés spécialisées extérieures de la vallée de la Bresle. « Beaucoup de défauts spécifiques à la verrerie ne sont détectables qu’à l’oeil nu », reconnaît-on à l’usine de Mers.
Pour la direction, deux ans sont donc encore nécessaires pour remettre le groupe en position de garder sa place de leader. Un effort que devra consentir le nouvel actionnaire, selon toute vraisemblance le fonds Oaktree, détenteur d’un tiers de la dette, qui semble avoir convaincu les 30 créanciers de SGD de sa faculté à accompagner l’entreprise vers le redressement. Si le LBO modèle a tourné au cauchemar, le dossier de retournement deviendra peut-être un cas d’école.